Rémy Bouder, 1955 - 2014
- Écrit par Paire alain
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1936, Manifestation devant le Palais de Justice (photographie du Studio Henry Ely) : l'une des images de l'exposition du Centre aixois des Archives départementales, longtemps rêvée par Rémy Bouder et réalisée par Robert Mencherini en 2010, Aix, Ville Ouvrière, 1850-1940.
Rémy Bouder nous a quittés le lundi 7 avril 2014, au terme d'une longue et douloureuse maladie. Il était né en 1955, il avait 59 ans. La fatigue ne l'épargnait plus : pendant son dernier hiver, il avait pendant quelques semaines tenté de reprendre son travail au Centre aixois des archives départementales des Bouches-du-Rhône. La crémation s'effectua le samedi 12 avril à neuf heures trente au Parc Mémorial d'Aix-Les Milles. Nous étions plus d'une centaine de personnes, des parents et des amis, au moment de la cérémonie d'adieu conduite par son épouse Isabelle Bouder et ses trois enfants, Lorraine, Hugo et Mona.
Rémy Bouder était un grand révolté, un érudit réfractaire aux mots d'ordre. Son humour et son intelligence étaient souvent caustiques, son comportement au quotidien pouvait être soit provocateur, soit extrêmement réservé : l'injustice et les inégalités le scandalisaient, il ne s'y résignait jamais. La très belle culture qu'il avait discrètement acquise au fil des ans ne l'avait jamais éloigné de son milieu d'origine. Il ne fut jamais "carriériste", il ne sollicitait rien pour lui : ses compétences et ses qualités auraient pu lui permettre d'accéder à d'importantes responsabilités, il n'en avait pas souci. Il avait des gestes et une façon de parler typiquement méridionaux. Il était vêtu très simplement, il aimait se chausser avec des espadrilles. Il adorait faire de grandes parties de pétanque. Sur les photographies qui le campent pendant plusieurs périodes de sa vie, on retrouve souvent ses cheveux longs et son éternelle cigarette.
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Je me souviens l'avoir rencontré au printemps de 2005, pendant une après-midi passée au Centre aixois des Archives départementales des Bouches du Rhône. Nous ne nous connaissions pas, nous ne savions pas que nous allions quelques mois plus tard travailler ensemble et devenir des amis. J'avais une demande de renseignement assez précise : je voulais retrouver des traces et des indices à propos d'une bastide et d'un jardin qui avaient été détruits à la fin des années cinquante, une demeure située sur le Boulevard du Roi René qui fut le lieu d'enfance et de jeunesse du sculpteur Jean Amado, son tout premier atelier. Il s'était immédiatement montré extrêmement disponible en face de ma demande : il avait tout de suite trouvé des éléments du cadastre et quelques autres documents qui m'avaient permis de mieux comprendre à quoi ressemblaient les arbres, la pièce d'eau et les étages de cette maison.
J'ai eu l'occasion de travailler avec lui lors de deux expositions du Centre aixois des archives départementales : pendant l'hiver 2005, lors d'une exposition et d'un colloque voulus par Françoise Danset et François Gasnault, à propos de la revue L'Arc et de Stéphane Cordier. Régine Got était la scénographe de cette exposition, nous étions très heureux de pouvoir oeuvrer ensemble. Après quoi, toujours sous la houlette de François Gasnault et dans de très bonnes conditions, en collaboration avec l'UMR Tellemme de la Maison des Sciences de l'Homme dirigée par Jean-Marie Guillon, nous avions élaboré en septembre 2008 une exposition qui s'intitulait André Masson et Georges Duby / Arts plastiques et Sciences humaines / Les ateliers d'Aix en Provence 1948-1968.
Dans sa trajectoire personnelle, il faut pointer deux expositions majeures au coeur desquelles ses recherches et ses découvertes furent extrêmement précieuses. En mai 2001, il y eut à Marseille, en compagnie du photographe Mathieu Pernot, avec l'appui de Christian Oppetit, conservateur en chef des archives départementales des Bouches-du-Rhône, l'exposition Un camp pour les bohémiens /Mémoires du camp d'internement pour nomades de Saliers. Rémy Bouder s'impliqua dans la préparation de cet événement qui fut une grande première. Sur des liens qui permettent de visionner un documentaire réalisé par Emmanuel Migeot et Cedric Comdon, on revoit à plusieurs reprises Rémy qui commente les pièces d'archives qui évoquent la vie quotidienne au camp de Saliers.
Auparavant, l'histoire orale était défaillante, les recherches menées par les spécialistes de la seconde guerre mondiale n'avaient pas abouti. A la faveur de cette exposition qui évoquait le destin entre 1942 et 1944 de sept cent gitans internés en Camargue dans un camp de concentration voulu par le gouvernement de Vichy, des situations et un contexte longtemps occultés furent dévoilés. Le catalogue de l'exposition, édité par Actes-Sud fut un ancrage important dans l'oeuvre de Mathieu Pernot qui exposait ses photographies au musée du Jeu de Paume, pendant ce printemps 2014. Dans un récent entretien, pour mieux pointer le sens que peut revêtir une exposition pionnière, ce photographe "transdisciplinaire" reprenait le titre d'un ouvrage de Georges Didi-Hubemann : il expliquait que les images doivent "prendre position".

Le deuxième grand événement pour lequel les historiens et tous les citoyens des Bouches-du-Rhône sont profondément reconnaissants envers Rémy Bouder, ce fut une exposition qui lui tenait particulièrement à coeur, une opération qu'il avait longtemps rêvée et qu'il sut imposer à l'intérieur du programme du Centre aixois des Archives départementales, avec la complicité et la volonté de leurs conservateurs Jérôme Blachon et Jacqueline Ursch : les recherches et les trouvailles de Rémy furent extrêmement conséquentes lorsque l'historien Robert Mencherini réalisa et présenta, de septembre 2010 à janvier 2011, l'exposition Aix-en-Provence, ville ouvrière, 1850-1940.
