
Pas de date, deux adresses et quatre lignes, le brouillon d'un télégramme rédigé par Emperaire.
Ce document restera énigmatique, les indices qu'il comporte ne sont pas assez nombreux pour échafauder une explication. Cet écrit évoque des êtres et des événements difficiles à identifier. Avant de poster son message, Emperaire rédige un premier brouillon de télégramme. Ce mince vestige de 13 x 23 cm ne comporte pas d'indication de date, nous savions que le peintre vécut à Paris entre 1857 et 1881. La nouvelle vient de lui parvenir alors qu'il est loin de sa ville natale : nous ne connaissons pas son nom, une personne qui lui est chère vient de disparaître.
L'incipit "Morte ! ..." ne s'oublie pas. L'encre a très peu déteint, les points de suspension et les majuscules sont finement marqués. En haut figure l'adresse parisienne d'Emperaire. Achille aurait eu en guise de boîte aux lettres, celle de Barthélemy qui habitait le 33 de la rue Brézin dans le quartier de Paris-Montrouge (aujourd'hui, dans le quatorzième arrondissement, entre Mouton-Duvernet et gare Montparnasse). Cette indication permet de mieux préciser la date d'envoi du télégramme : on peut faire l'hypothèse que sa rédaction s'effectue entre 1870 et 1881, une habitante d'aujourd'hui m'a en effet précisé que l'immeuble de la rue Brézin fut construit en 1868.
Achille Emperaire envoie son pli au 22 du Cours Ste Anne, une rue d'Aix-en-Provence qui changea de nom : elle se situait en début de faubourg, près des anciennes casernes, dans le prolongement de la rue d'Italie.
Voici ce qu'on peut déchiffrer. On peut imaginer que le message qui fut finalement envoyé était à peine différent :
Morte ! ...
Assistez-nous ... Entourez chacun avec beaucoup de ménagement.
Répondez par même voie. Ecrivez ensuite.
Emperaire
Au dos de ce brouillon retrouvé parmi d'autres toiles et dessins de l'artiste, Emperaire a griffonné au crayon rouge et à la plume une scène qui pourrait figurer le départ d'une âme morte. Il indique plus bas la légende de ce dessin qui fait surgir deux personnages. A droite, c'est une femme, son dessin est lyrique et passionnel. Le personnage à gauche est masculin, accroupi et moustachu. Il désigne du doigt une figure torsadée, la silhouette de cette femme qui s'écarte et qui s'envole dans les nuées. La légende du dessin précise qu'il s'agit d'une copie de la Galatée d'Annibal Carrache. Est-ce un simple exercice, une manière de s'assouplir le poignet ou bien faut-il accorder du sens au choix de cette iconographie ?
Achille Emperaire aurait retourné le brouillon de son télégramme, des lignes rapides qu'il ne voudra pas détruire et qui furent miraculeusement conservées. Il aurait dessiné ces deux silhouettes tout en songeant au deuil qui le frappait. Dans la mythologie, il se dit que cette nymphe est le symbole d'un amour non partagé. On raconte que le géant Polyphème lança sur son amant un énorme rocher.
Au verso du brouillon du télégramme, un dessin inspiré par une Galatée de Carache.
Il faut revenir à l'impensé de ce télégramme, sa charge de douleur. Terriblement lacunaire et mystérieuse, à bien des égards impossible à reconstituer, la vie d'Achille Emperaire nous échappe profondément ... A la faveur de la découverte et de la lecture de ce document, quelque chose de son émotion la plus personnelle nous est soudainement livré, sa manière de ressentir, sa façon de s'exprimer.
Deux fusains d'Emperaire qui évoquent une Veillée funèbre - on les découvrira lors de l'exposition de décembre 2013 - semblent faire écho à ce qui s'est tramé lorsque la nouvelle du décès fut donnée. La composition de ce dessin est triangulaire, elle fait un instant songer au dais de L'éternel Féminin de Cézanne, cette coincidence est un instant troublante. Ici, point d'apothéose ni d'éléments burlesques, l'essentiel est charbonneux. On aperçoit les ailes miséricordieuses d'un ange de profil sur la droite. Des enfants et des adultes se cachent le visage, prient ou bien s'approchent du lit où le défunt repose.
