Pietro Sarto / Exposition "Surgis de l'ombre"
- Écrit par Paire alain
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Pietro Sarto, "Migrations".
Pietro Sarto, texte de Florian Rodari.
Comme le peintre le répète lui-même volontiers, la pratique de la gravure n’est pas, dans le partage des tâches, une activité séparée du reste de sa création. Au contraire, elle va devenir essentielle dans l’exercice de son art et orienter une bonne part de son travail. Pour commencer, le moins que l’on puisse dire, c’est que Sarto n’est pas vraiment respectueux des principes élémentaires qui régissent la logique de l’estampe. Tout d’abord, il ne grave pas nécessairement sa plaque pour la multiplier à un grand nombre d’exemplaires, comme le voudrait la tradition. Ensuite, il ne se limite pas à une seule technique, mais recourt au plus grand nombre – pourvu que le procédé utilisé, même peu orthodoxe, serve son intention. L’examen attentif de l’un de ses cuivres montre à quelle « nuit de besogne » est soumis le matériau avant de pouvoir délivrer son message. La plaque de cuivre est aux yeux de Sarto un miroir de mélancolie propice à la méditation et au retour sur soi. L’intérêt du peintre-graveur s’est en effet très vite porté, dans sa pratique du genre, à cette économie particulière qui régit les états, à cette possibilité qu’ils offrent à l’artiste de prolonger indéfiniment l’œuvre dans la durée, de ne plus se séparer d’elle. Pouvoir ainsi, à sa guise, stopper son image dans le moment même qu’elle s’élabore, fixer un aspect furtif de sa métamorphose en cours, en conserver par devers soi un témoignage alors que l’on est déjà à la poursuite d’une nouvelle étape, tel est le privilège unique dont Sarto va se servir abondamment pour approfondir sa vision, pour creuser dans l’image l’épaisseur du temps et se mêler à son flux.
[…]On retrouve à plus d’une reprise dans les images de Pietro Sarto le sentiment d’une chute, d’un vertige, d’un engloutissement dans le vide des eaux ou de l’espace, comme si depuis toujours il avait pratiqué le vol à voile ou la navigation en haute mer. Dans ses épreuves gravées, cette sensation d’aspiration et disparition confondues, est encore accentuée par le recours aux états dans lesquels l’image – une fois reconstituée la suite de ses altérations – semble perdre toute solidité et toute notion de durée, pour flotter sans repères dans un suspens, une indécision dramatiques, comme si elle voulait s’identifier à l’inconsistance de l’air, au flux des vagues, ou plus exactement encore à ce mélange d’air et d’eau qu’est le nuage, thème omniprésent, obsédant de sa poétique.