Katia Botkine : "Double-face".
J'ai un jour entendu Angelin Preljocaj raconter joliment (et donc inventer un peu) qu'il tenait sa vocation de danseur (et peut-être son prénom ... mais là c'est moi qui ajoute) d'une nuit où sa mère, qui le portait encore en son flanc, dut franchir une frontière enneigée afin de laisser définitivement derrière elle le pays des aigles.
Pour être la plus silencieuse possible, son pas s'était alors fait si léger que, disait-il, sur ce sentier là elle ne marchait plus: elle volait. Ou presque !
Il en est avec ce "presque" possiblement de même pour quelques-uns des personnages fantastiques de Katia Botkine. Mais ceux-là, androgynes, mi-homme - mi-oiseau, ont - dans leur exil sur le sol de notre planète - et bien plus que par un simple prénom, conservé leurs ailes.
Lorsqu'on les découvre ainsi, dressés sur leurs longues jambes de - parfois - quasi palmipèdes-échassiers, on n'est cependant pas vraiment assuré qu'ils possèdent toujours l'agilité du danseur ... mais ils en portent l'espérance. Celle d'une humanité débarrassée de ses trop matérielles pesanteurs ... et celle d'un ailleurs à immédiate portée de regard, pour qui veut bien - un instant au moins - détourner la tête du chemin balisé.
A portée de regard ... et de mains. Évidemment nul garde-frontière à l'orée de cet univers : des titres de séjour et autres laissez-passer notre alchimiste a fait du papier mâché ... et voilà la matière de cet entrelac de lianes joyeuses et colorées qui nous accueille. Puis qui nous invite à nous y faufiler, en y laissant accrochés au passage ces invisibles fardeaux déjà évoqués.
Ainsi, dès le seuil, le ton est donné. Arte Povera (On perçoit d'ailleurs tout de suite que - malgré son économie de moyens - cette œuvre, riche de poésie sensible et de mille et une trouvailles chamarrées, s'accorde parfaitement avec les voyelles d'une langue qui chante)
On ne trouvera par conséquent ici aucune dorure à l'or fin. Voilà qui met par avance ce territoire de la merveille à l'abri des Pizarro et des Cortés de toutes sortes. Car présence des Indiens oui, bien sûr. D'ici, de là et d'ailleurs encore (A-t-on jamais vraiment trouvé la véritable route des Indes ?) Des totems donc (dont certains jouent secrètement le rôle de télégraphe-Chappe vers quelques cousins lointains érigés naguère par Gaston Chaissac) et, naturellement ... des "tribus".
Ce dernier mot est de Katia, elle l'aime bien je crois ... sans doute parce qu'il est le plus souvent nomade (un mot-valise à lui tout seul) sans doute aussi parce qu'il nous parle d'une humanité bien plus solidaire que celle du Cac 40. Et bien plus pacifique que celle de nos marchands de canons.

Katia Botkine, "Courage, fuyons".
Du reste, si vous tendez maintenant une oreille complice dans sa direction, vous entendrez très distinctement le sursaut d'indignation de Courage-Fuyons ... lequel, sur le point de filer à tire-d'aile, s'inquiète déjà de son audace. Mais est-ce sa faute si sa prudence prend toujours trop rapidement le relais de sa révolte ? Après tout c'est quand même lui le premier à avoir pris la parole et à avoir ainsi donné l'alerte !
Rien n'est trop assuré pour ce qui concerne la nôtre (de peuplade) mais lui, c'est certain, possède une âme : son démiurge attentionné l'a savamment composée avec du grillage léger. Autant de moins pour les volières ! Et autant dire une belle âme !
Oly la punkette (avec sa couronne new-yorkaise de Statue de la Liberté, en moins impressionnante pour les petites gens, et en plus résolument joviale ... faite d'embouts forcalquiérains de réservoirs à colle) possède la même armature sentimentale. La voilà d'ailleurs qui, à bout de bras, ne voulant douter de rien, apprend à planer à
Olympe, membres largement écartés. La nostalgie de l'envol, toujours.