Sylvain Gérard, le 18 ou le 19 octobre 2013
- Écrit par Paire alain
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Il était né à Besançon le 22 août 1965. Sylvain Gérard avait décidé de s'établir à Marseille en 1987. Il y resta pendant dix ans, je peux croire qu'il y fut certaines fois heureux. Je me souviens l'avoir aperçu dans deux de ses logements de cette époque : l'étage et les longs couloirs d'un vieil immeuble Place de la Bourse, ensuite un assez grand studio du rez de chaussée du Grand Domaine, boulevard des Dames. Sylvain Gérard participa à des expositions collectives chez Tore et Porte-Avions, ainsi qu'au château de Cabriès. Deux expositions personnelles, chez Athanor en 1992 et 1995. J'avais présenté six de ses grands fusains, au 10 de la rue des Marseillais, pendant le premier trimestre de 1995. L'un de ses dessins figure dans la donation de Jean-Pierre Alis au musée d'Art Moderne de Céret. En novembre 2000 et jusqu'en janvier 2001, son travail fut présenté à l'Institut Français de Fribourg.
Outre Dominique Cerf, parmi ses amis artistes qui vivaient dans le Sud, il y avait Thierry Agnone, Jean-Jacques Ceccarelli, Gérard Giachi et Sylvie Reno. Ceux que j'oublie voudront bien m'excuser, peut-être je ne les connaissais pas. Paule Breton et Huguette Mille défendirent son travail, Jean-Louis Marcos l'estimait et l'affectionnait. Jean-Louis me parlait de Sylvain, il écrivit des articles à son sujet. Kamel Khélif fut à mon sens l'un de ses meilleurs frères d'armes : pendant quelques saisons de vive amitié, leurs sources d'inspiration et leurs techniques se rapprochèrent. Sylvain Gérard publia des dessins dans le premier numéro de la revue Il Giocatore en janvier 1992. Il illustra La Fiancée rebelle d'André Beucler (éditions Le Passeur, Nantes, mars 1994).
Un livre aux éditions Fidel Anthelme X
En mai 2014, Frédérique Guetat-Liviani a publié à propos de Sylvain Gérard, Faune à la petite chaise un livre de ses éditions Fidel Anthelme X, dans sa collection La Motesta. Dans ce livre (44 pages, dix euros) on trouve les reproductions d'une huitaine de ses dessins et des textes de plusieurs de ses amis : Jean-Pierre Alis, François Bazzoli, Dominique Cerf, Jean-Pierre Ostende, Alain Paire, Bernard Plasse, Annie Rosès et Jean-Jacques Viton. On pouvait se procurer ce livre lors de l'inauguration de l'exposition Sylvain Gérard, lundi 19 mai 2014 à la Galerie Bernard Plasse, 37 rue Sylvabelle à Marseille. Ou bien, on le commande directement aux éditions Fidel Anthelme X, 9 boulevard Chave, 13005 Marseille, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.



Je me souviens aussi d'une conversation avec sa mère et son beau-père. Tous deux s'étaient déplacés depuis Besançon pour venir voir l'exposition de Sylvain. Nous étions sur la terrasse d'un café de la Place Richelme. Ils m'interrogeaient, je les sentais inquiets. Je leur disais ma profonde confiance pour son oeuvre, mon étonnement devant l'amplitude de ses capacités plastiques. J'avais réservé et puis acheté le grand fusain que j'ai reproduit au début de cet article : on retrouve son image à la page 136 de mon livre édité chez Jeanne Laffitte, Peinture et sculpture à Marseille au XX° siècle. A cause d'un personnage qu'on aperçoit en bas de ce dessin, je l'avais baptisé Le cosmonaute. Ce dessin fut présenté dans l'exposition 19 ans de galerie de novembre-décembre 2013, chez Arteum / musée d'art contemporain de Châteauneuf-le-Rouge, dans une salle où figuraient des dessins de Jean Amado et de Louis Pons : on en retrouve la reproduction dans le catalogue, page 25. Dans ma collection personnelle, il s'agit de l'une des pièces que je préfère.
J'ai relu deux articles que j'avais publiés en 1995, dans la revue Al Dante de Laurent Cauwet ainsi que dans Planète-Sud, un quinzomadaire éphémère publié par la galerie Porte-Avion. Le premier s'intitulait Chronique d'une légende annoncée, le second avait pour titre L'énigme de l'arrivée. Au terme de nombreux raccourcis et suppressions, le collage de ces deux textes prend l'allure qui suit :
Sylvain Gérard tout en blocs : élan, envol, fugue.Ce n'est pas la ligne continue qui cerne. Ce n'est pas la frontière noire (sombre, obscure) qui délimite pour interdire. Ce n'est pas le contour qui signale puis soudain révèle (le corps, l'intime du corps, le visage, le secret du visage). C'est donc quoi ? Utilisant presque simultanément le fusain - parfois accompagné d'un lavis, mais rarement et comme pour soulager la charge de l'ombre contre laquelle il se bat et avec laquelle il pactise aussi - Sylvain Gérard fabrique brutalement des blocs qui deviennent en eux-mêmes des comptes-rendus, des points rendus à l'adversaire (la vie extérieure, le monde) dans un jeu d'adresses, c'est à dire d'interpellations. Alors c'est sombre, c'est enfoui, c'est lourd, c'est imbriqué, c'est compact, c'est fort, c'est rusé, c'est sans appel - on ne casse pas ces procès-là. C'est tout en même temps, le temps du regard immédiat. Mais c'est aussi ouvert, envolé, vite. Pourquoi ? Très simplement, parce que le bloc qui est fait de tout cela, miroite, comme l'anthracite, et parce qu'il révèle, par exemple, une porte sans panneaux ouvrant sur une pièce vide dont la fenêtre sans carreaux donne sur un paysage à jamais saisi dans une trêve douteuse qui n'est pas sans rappeler les situations où l'américain Andrew Wyeth livre dans le silence le plus complet les perceptions angoissantes que sa femme, Christina Olson, a des fermes du Maine alentour. Mais aussi parce que Sylvain Gérard retient, dans son siècle sans horloges, deux visages griffés comme des fossiles, ou encore parce que, dans une muette implosion du blanc, s'envole un insecte indéterminé, ou une femme, ou un homme, dont ce qui pourrait se retenir comme étant des ailes déchirées mais apparues, compose la fugue extrême. Tout cela sans effets spéciaux, dans un grand tumulte calme. Sylvain Gérard avance dans le clandestin et les corps qu'il passe en transit ne sont "au bloc" que pour un instant : une martingale de dégradés, une grille de l'espace en abîme leur promettent un départ définitif. Figuratif cela ? Oui. Mais comme peuvent l'être des hiéroglyphes, des pavés de figures. On peut dire des fresques, des saisies de formes qui, comme dans tous les fragments du minéral, suggèrent la trace béante du bouleversement central.
Jean-Jacques Viton, février 1995.

Jean-Jacques Viton, photographie de Marc-Antoine Serra.
Sur ce lien, une chronique à propos de Sylvain Gérard, émission de la Web-Radio Zibeline.