
Raymond Reynaud, à La Peyronnette, près de Senas (photo Jean Bernard).
Il était né à Salon-de-Provence le 8 octobre 1920. Sa ville natale ainsi que l'association des amis de Raymond Reynaud organisent pour le prochain été, sous la responsabilité de Juliette Laffon, déléguée aux arts plastiques de Marseille-Provence 2013, une rétrospective qui regroupera une cinquantaine de ses peintures et de ses sculptures dans la Salle Septier de Salon, du 5 juillet au 29 septembre. Le vernissage se déroulera le 4 juillet 2013, Martine Lusardy, directrice de la Halle Saint-Pierre de Paris, préface le catalogue de cette exposition.
Raymond Reynaud était un homme plein d'humour, de malice et de délicatesse. La faconde méridionale, les éclats de rire, le courage et la vivacité de ce personnage foncièrement simple et généreux étaient merveilleusement contagieux. Son coeur fut souvent malade, de méchantes dépressions le guettèrent lorsqu'il fut contraint d'abandonner son métier de peintre en bâtiment. Plusieurs médecins, des guérisseurs plus ou moins convaincants, un grand amour de la vie, la compagnie d'Arlette qu'il épousa en 1959, toutes sortes de ruses et de finesses, ainsi qu'une très belle force intérieure lui permirent d'oeuvrer entre Alpilles et Durance, jusqu'à l'âge de 87 ans.
Sa biographie raconte qu'il avait perdu sa mère dés l'âge de douze ans ; son père s'était remarié. Raymond n'avait pas réussi son certificat d'études. Tout en devenant apprenti-peintre en bâtiment, il avait volontiers participé aux cours du soir de l'école d'art de Salon : des natures mortes et des paysages provençaux sans saveur particulière témoignent pour son assiduité. Il suivit aussi des cours de solfège. Son saxophone lui permit de fonder des orchestres de bal-musette qui sillonnèrent les campagnes pendant cinq joyeuses années : les petits groupes d'amis qu'il avait réunis s'appelaient
Donald et ses boys, Rigth Music, ou bien
Bikini Jazz.

"Monsieur Edouard", gouache huilée sur contreplaqué, format 60 x 88 cm (photo Jean Bernard).
Son appétit de savoir et sa curiosité ne désarmèrent jamais. Raymond Reynaud n'était pas un farouche réfractaire : il suivit des stages dans le cadre des "Académies populaires" et de mouvements associatifs liés à la Fédération Léo Lagrange. Sa culture personnelle était étonnante. En connaissance de cause et sans bluff, il lui arrivait d'évoquer au milieu d'une conversation tout à fait détendue les fresques de Lascaux, l'Art Roman, le Christ de Cimabue, les mandalas tibétains, Miguel de Cervantès, Vincent Van Gogh et Gaston Chaissac, Lucian Freud et Jean-Michel Basquiat.
Raymond Reynaud fut un tardif, un homme d'intuition et de persévérance. Il lui fallut attendre le contexte libertaire des années soixante-dix et sa mise à la retraite anticipée pour que ses talents d'outsider puissent s'affirmer. Il avait coutume de se définir comme un "serviteur du temps". Il estimait très sincèrement que "c'était le Bon Dieu" qui avait fini par lui donner sa chance. Quelque part dans une enclave perdue, ce qu'il aura le mieux réussi, à partir d'un minuscule point sur la carte de l'hexagone, en parallèle à son oeuvre de peintre et de sculpteur étonnamment foisonnante, ce fut un art de vivre à nul autre pareil.
En 1964, il avait décidé d'habiter à l'écart du bourg de Senas, parmi des lopins de terre bordés de haies, une maisonnette située dans une sorte de "pays où l'on n'arrive jamais", le quartier de la Peyronnette. A partir d'un noyau primitif indéniablement modeste - quelques pièces encadraient une cuisine et une salle de séjour - son domicile s'était considérablement agrandi et diversifié. Les jardinets et les demeures permanentes d'Arlette et de Raymond Reynaud étaient devenus au fil des ans un univers en perpétuelle mutation, un labyrinthe doté de multiples dépendances.
L'itinéraire que l'on empruntait pour converser avec lui était déconcertant, de prime abord difficile à mémoriser. Dans une surface réduite on appréhendait une étrange série de piécettes où l'on déambulait tout en regardant un prolifique déploiement d'oeuvres,
des montées d'escaliers, des couloirs et des diverticules. On découvrait une incroyable succession d'appentis et de greniers, des décrochements et des renfoncements, des absidioles ainsi que des petites nefs agrémentées de collatéraux. Pour ce qui concerne la décoration extérieure, on contemplait sur la façade et sur le pourtour de la toiture des chimères, des tourelles et des clochetons, une savoureuse statuaire en plâtre qui représentait gauchement l'apparition de petits esprits, ou bien la protection de divinités plus ou moins païennes : par exemple, dans l'entrée d'une pièce réservée aux sculptures de Raymond, on apercevait trois gardiennes dont les tracés, les visages et les généreuses morphologies étaient auréolés par des sièges de tracteurs.
Son univers pictural n'avait rien d'immédiatement rassurant : un cap solidement gardé, une grande indocilité, des tremblements et beaucoup de sauvagerie, quelque chose de virulent ou bien d'épouvantablement pathétique fermentaient dans presque toutes ses compositions. Lorsque je lui rendais visite, je découvrais tout d'abord au rez de chaussée de La Peyronnette un espace réservé aux peintures des Sept Péchés capitaux ainsi qu'aux grimaces d'une Danse macabre. Une seconde pièce accueillait des totems et des sculptures, issus d'assemblages de rebuts sélectionnés parmi les décharges voisines. Après quoi, on se retrouvait dans les espaces doubles d'une sorte de sanctuaire dévolu aux thèmes du Cirque ainsi qu'à son monumental polyptyque de Don Quichotte.
Le Don Quichotte de Raymond Reynaud, partie centrale (photo Jean Bernard).
Au premier étage, à côté de deux pièces centrales où s'accrochaient des gouaches ainsi que la magnifique composition du rétable de Jean de Florette, on retrouvait des contreforts, des espaces latéraux conçus pour abriter une accumulation de masques et d'objets africains, toutes sortes d'imageries, des cadeaux, des fragments de mail art, des assemblages, des petits formats et des estampes offerts par de nombreux amis artistes. Raymond Reynaud n'était pas un solitaire : il y avait en lui un véritable charisme, un constant souci de transmission. En contrepoint à ses recherches, des forces exogènes s'organisaient : des dialogues et des complicités s'aimantaient autour de lui, l'atelier pour adultes du Quinconce vert qu'il avait créé en 1978 fut un point de ralliement pour de multiples expériences. Des personnes de la proche région comme Frédéric Altman, Marie-Christine Blanc, Jean-Claude Caire, Gérard Estragon, Andréa Ferréol, Marie Morel, Léon Claude Vénézia et Pascal Verbena ont aimé commenter son travail. Des écrits et des correspondances en témoignent : du côté de l'art singulier, il lui arriva de rencontrer des connaisseurs de premier plan comme Alain et Caroline Bourbonnais, Laurent Danchin, Paul Duchein, Jean Dubuffet, Martine Lusardy, John Maizels et Michel Thévoz.
En février et mars 1998, dans le petit espace de ma galerie de la rue des Marseillais, j'avais composé une exposition intitulée "Sous le vent de l'art brut" ; cette exposition regroupait une artiste du Quinconce vert, Jeanne Disdero, Pierre Ledda et Raymond Reynaud. En 1999, Michel Bepoix qui fut le responsable de la galerie d'art du Conseil général des Bouches du Rhône m'avait demandé d'écrire le texte d'un livre édité par Arnaud Bizaillon et Images en manoeuvres ; Jean Bernard avait été choisi pour réaliser des photographies in situ, nous avions tenté de révéler l'incroyable microcosme de sa maison. En même temps, je voulais raconter que cet homme magnifique était parvenu à s'affranchir des étroitesses de son environnement immédiat. Sans mythification, avec beaucoup de constance et de gentillesse, Raymond Reynaud avait lancé ses passerelles vers l'extérieur : il avait franchi plusieurs seuils, son oeuvre avait été montrée jusqu'à Baltimore et New York, Michel Bepoix avait fait transiter son travail dans plusieurs villes d'Espagne.
Un rituel gouvernait nos visites. Il y avait tout d'abord le café du matin, nous étions accueillis par les sourires et les plaisanteries d'Arlette et de Raymond. On s'attardait dans la salle à manger qui sert aussi d'atelier et de bureau, on demandait des nouvelles, on conversait autour des derniers travaux qui venaient d'être réalisés. Après quoi, on retournait voir les peintures et les sculptures. Les pièces de la maison étaient sombres, pour la plupart démunies d'ouvertures ; elles s'éclairaient et s'éteignaient les unes après les autres. Pendant l'hiver, le mistral était souvent prégnant. Il faisait terriblement froid, la plupart des salles sont orientées vers le nord. Raymond Reynaud vissait sa casquette et s'emmitoufflait dans une vieille veste de velours gris pour nous accompagner.
Raymond Reynaud fut à la fois sculpteur et monteur-assembleur d'objets. Dans la pièce où s'entreposaient ses sculptures, on affrontait quelque chose d'immédiatement violent : une manière de cri difficile à oublier se faisait entendre. Parmi les cendres et les bordilles des décharges publiques, il avait récupéré toutes sortes d'épaves et de fragments accumulés dans ses réserves : de vieux jouets, de la matière plastique, des bouts de sommier, des grillages de poulailler, des paniers de vendanges, de la dentelle, des nids d'abeilles, des morceaux de racines et des souches d'arbres érodés par le grand âge et les intempéries. A force de respect et d'attention, dans l'intrication de ses matériaux disgrâciés à propos desquels il répétait qu'il s'agissait de
cadeaux du Bon Dieu, Raymond avait progressivement identifié des formes, des couleurs et des rimes intérieures. Ses méditations, son amour des choses d'ici-bas
et ses rêveries l'avaient conduit à recomposer lentement, coller ensemble et puis nouer des ébauches de visages, des éléments de colonnes vertébrales, des fragments de membres et de corps. Grâce à divers pals, tuteurs et socles de fortune, il verticalisait sommairement des silhouettes d'outre-tombe dont il tentait de recoudre les plaies.